1 jeune sur 10 disposé à prêter son compte et sa carte bancaires en échange d’argent

4 décembre 2019 - 13 min de lecture

Un parent témoigne : « S’il vous plaît, parlez-en avec vos enfants. »

1 jeune sur 10 prêterait son compte et/ou sa carte bancaires en échange d'argent. C'est l'une des conclusions déconcertantes de l'étude sur les mules financières que Febelfin a commandée au bureau de recherche Indiville.

 

Quiconque accepte une telle "proposition d'échange" devient une mule. Les criminels ont besoin de mules financières et de leur compte bancaire pour faire transiter l’argent volé ou le retirer en espèces. En d'autres termes, la mule fait le sale boulot des criminels, mais à la fin, c’est elle qui récolte toutes les misères. Car elle est punissable et peut être poursuivie.

Sans compter que la rémunération promise est souvent un mensonge : en lieu et place, la mule a plutôt droit à des menaces physiques et un compte pillé. Pour prévenir les jeunes et leurs parents, Febelfin lance pour la deuxième année consécutive une campagne sur les mules financières. Cette fois-ci, en collaborant avec toute une série d'influenceurs bien connus. 

 

Les mules, c'est quoi ?

 

Les mules financières (money mules) sont des personnes qui font (laissent) transiter illégalement de l'argent via leur compte. Il s'agit souvent de personnes qui rencontrent des difficulté financières et/ou qui veulent obtenir de l'argent facilement.
 
L'étude du bureau d’enquête Indiville montre que les jeunes, clairement, sont sensibles à ces pratiques. Alors que 4 % de la population totale prêterait son compte et/ou sa carte bancaires en échange d'une rémunération, ce pourcentage passe à pas moins de 10 % chez les jeunes (entre 16 et 24 ans).

Les garçons semblent également plus sensibles aux belles paroles des criminels que les filles. 8 % des filles semblent tentées par l’idée de gagner de l'argent en « se contentant » de prêter leur compte et/ou leur carte bancaires. Dans le cas des garçons, on parle de plus de 14 %.

Comment fonctionne la fraude ?

 

La fraude faisant appel à des mules suit un schéma reconnaissable. La mule potentielle est approchée en ligne ou dans la vie réelle par un recruteur qui lui demande de lui prêter son compte et/ou sa carte bancaire(s) et son code PIN en échange d'une rémunération. Les médias sociaux en ligne populaires sont notamment Instagram et WhatsApp; hors ligne, l’approche est par exemple opérée dans les quartiers de vie nocturne, à la gare et à proximité des écoles.

Le recruteur raconte à la mule ce que l’on attend d’elle et lui parle des sommes d'argent importantes que d’autres ont déjà gagnées de cette façon. L'opération est décrite comme un service d’ami sans le moindre risque. En réalité, le recruteur a besoin du compte et/ou de la carte bancaires de la mule pour faire transiter de l’argent illégal ou pour retirer cet argent en espèces. De l’argent qui a généralement été volé via hameçonnage.

En utilisant le compte et/ou la carte de la mule, les criminels effacent toute trace de leur intervention.

Bien que le mode opératoire par carte bancaire soit celui qui est le plus largement utilisé, les criminels peuvent aussi demander que l'argent soit acheminé par virement bancaire, Western Union...

 

Quelles sont les conséquences ?

 

Une mule ne comprend généralement pas qu’elle prend part à des activités criminelles. Mais même s’il semble qu’elle ne commet aucune infraction pénale, elle est bel et bien responsable de ce qui se passe sur son compte et peut en être tenue pour responsable.
 
Si la mule est mineure, ce sont les parents qui peuvent être tenus pour responsables. Dans la pratique, cela signifie que la mule (et ses parents) devront rembourser à la victime l'argent qui a transité via le compte de la mule. Cette dernière risque également des amendes judiciaires et fiscales importantes. La banque de la mule peut également refuser d’encore lui accorder un compte bancaire, une carte bancaire et/ou un prêt.
 
Outre les conséquences pénales et financières, il existe également un risque élevé de violence physique. Les recruteurs ne sont pas des tendres ayant à coeur l’intérêt de leurs mules. Dans la pratique, la rémunération alléchante est souvent minime voire inexistante. Au contraire : la mule est souvent abandonnée avec un compte pillé.

 

Quelle est l'ampleur de ce problème ?

 

La problématique des mules est répandue dans le monde entier. L’étude d’Indiville indique que 7 % de la population totale a un jour été approchée dans ce cadre. 3 % des gens ont été abordés par les recruteurs eux-mêmes, tandis que 4 % connaissaient des personnes qui avaient eu un contact avec des recruteurs.
 
Si l’on considère les jeunes, ces chiffres augmentent considérablement. 5% ont même été approchés et 9 % connaissent des gens à qui on a demandé de devenir une mule financière. Les criminels semblent bien conscients que les garçons sont plus sensibles à leur message car c’est ce groupe qui est le plus ciblé. 9 % des garçons disent même avoir déjà été approchés. Et 11 % connaissent quelqu’un qui l’a été. Pour les filles, ce chiffre tombe à moins de 1 % et 8 %.
 
Ce qui est problématique, c'est que 23 % de toutes les personnes qui ont été approchées ont aussi répondu à cette demande. En d'autres termes, ils ont prêté leur compte et/ou leur carte bancaires à des criminels.

 

Les jeunes ne saisissent pas les dangers de cette pratique notamment parce que leurs parents ou grands-parents ne leur parlent guère de la manière dont il convient d’agir pour gérer l'argent et les possibilités numériques en toute sécurité. Seul 1 jeune sur 4 déclare qu’il s'agit là d'un sujet de discussion fréquent à la table familiale. Dans 1 cas sur 5, cette question n'est jamais discutée.

Nouvelle campagne axée sur les jeunes

 

Pour sensibiliser les jeunes à la problématique des mules financières et leur faire prendre conscience des dangers allant de pair, Febelfin lance une campagne sur Instagram avec l'agence Hurae. Non seulement un canal apprécié des jeunes, mais aussi l'une des voies de recrutement préférées des criminels. La fédération du secteur financier s'appuie dans ce cadre sur une campagne antérieure, couronnée de succès, réalisée en collaboration avec les rappeurs de Kurkdroog.

C’est Docteur Ideologie qui sera le visage de la campagne pour le côté francophone. Avec plus de 140 000 followers, il est l’un des influenceurs wallons les plus populaires.

Pour la partie néerlandophone du pays, Febelfin va collaborer avec Chakir Benjilil, Sarah Bossuwé, Jael Ost, Jasper Publie, Fabian Feyaerts, DJ 5NAPBACK, Charlotte Mertens, Phoebe Vandevyvere, Kessy Kangala, Gilles Van Eeckhout, Mattis Vandecaveye, Celine van Ouytsel, Tim'tation Wauters et Joshua Feytons (Temptation Island).

Enfin, Europol, l'organisation internationale de police, lutte elle aussi, année après année, contre le recrutement de mules financières. Sa campagne de sensibilisation EMMA5 (European Money Mule Action) pour 2019 sera lancée  le 4 décembre. 

 

Quel est exactement le lien entre les mules et le phishing ?

 

L'argent que les criminels veulent faire transiter par le compte des mules est de l'argent volé. Généralement, il a été dérobé par la voie de l’hameçonnage bancaire. Les chiffres sur l'hameçonnage bancaire sont en hausse pour les trois premiers trimestres de 2019.

Pendant cette période, 5417 nouveaux cas de fraude ont été enregistrés, soit une augmentation de 61,7 % par rapport à la même période de 2018. Il est à noter que le montant en euro des pertes par fraude a diminué sur la même période. Les criminels font donc plus de victimes, mais en moyenne ils emportent moins de butin. Néanmoins, le montant total s'élève malgré tout à 4 737 372 euros.

 

L’Avocat Andy Boermans déclare : « Les chances d’être pris sont presque de 100 % »

 

Qu'est-ce qui motive les mules ? « Beaucoup de mules appartiennent à des groupes socialement très vulnérables. Certaines de ces personnes savent très bien qu'elles sont impliquées dans des pratiques malhonnêtes, mais le plus souvent, ce sont des gens naïfs qui font face à de sérieux problèmes financiers. »

Et le risque d'être pris ? « Si vous êtes le dernier maillon de la chaîne, le risque d'être pris est de presque 100%. Les banques sont obligées de signaler les transactions suspectes et je constate que le Parquet d'Anvers poursuit aussi les responsables de manière conséquente. Malheureusement, seuls les petits sont ciblés et il y a peu de volonté d'enquêter pour mettre la main sur le haut de la hiérarchie criminelle. Le parquet ne fait pas non plus de distinction entre les mules naïves et les personnes qui étaient bien conscientes d’être un maillon d’une chaîne criminelle », déclare M. Boermans.

Les conséquences sont lourdes. « En cas de condamnation, les mules doivent payer trois fois pour le montant qui a transité sur leur compte, et pas juste pour les miettes qu'elles ont pu grapiller. Elles doivent rembourser l'argent volé d’un client tiers à la banque qui s’est portée partie civile. Elles doivent également payer ce montant à titre de confiscation de l'avantage financier et, enfin, payer une amende au bénéficiaire des amendes pénales. »

L’avis de Maître Boerman ? « Si c'est trop beau pour être vrai, c’est que ce n’est pas vrai. Si quelqu'un essaie de vous forcer la main pour vous faire prendre un crédit ou transférer de l'argent de toute urgence, ne donnez pas suite. Faites une capture d'écran si l’on vous contacte à ce sujet via les médias sociaux. Cela pourra vous aider à prouver que vous n’avez nullement voulu participer à une transaction illégale. »

 

Le père d’une mule : « Exhortez vos enfants à ne jamais prêter leur carte bancaire ou leur code PIN »

 

L'histoire de Benny Van Mechelen prouve qu’en dehors des groupes à risque, les jeunes bien intentionnés et un peu naïfs sont aussi des proies faciles. L'été dernier, Benny a été contacté par le directeur de sa banque. La banque avait remarqué des transactions suspectes sur le compte de son fils de 16 ans. « Le compte a été bloqué et, heureusement, nous n'avons pas eu à rembourser l'argent volé qui avait transité par ce compte. Mais tout ça aurait aussi pu être bien pire. »

Que s'est-il passé ? « Un camarade de classe avait dit à mon fils que son frère voulait acheter un cyclomoteur, mais qu'il ne pouvait pas le faire parce qu'il n'avait pas de compte bancaire. A eux deux, ils ont demandé à mon fils de leur mettre son compte et sa carte à disposition. Mon fils connaît ce garçon depuis quatre ans, il n'avait pas d'argent sur son compte, et il n'a pas eu le moindre soupçon. En plus, ces jeunes lui promettaient trente euros pour le remercier. »

Les criminels ont ensuite convaincu le garçon de demander des codes à la banque afin de pouvoir augmenter le montant limite des demandes. Une fois qu'ils ont disposé du compte, de la carte et du lecteur de carte, l’arnaque s’est enclenchée. 20 000 euros ont été dérobés par hameçonnage sur les comptes de deux autres personnes. Les criminels ont transféré cet argent volé sur le compte du fils de Benny. La banque est intervenue alors que 13 000 euros avaient déjà été dérobés.

Benny sait que l'affaire aura probablement des suites judiciaires. « Nous avons immédiatement porté plainte auprès de la police. Entre-temps, mon fils a également été entendu comme suspect, bien que l'inspecteur ait établi qu'il avait agi de bonne foi. L'enquête est toujours en cours. »

Benny est secoué par l’enchaînement des événements.

Cela aurait-il pu être évité ? « Les parents doivent exhorter leurs enfants à ne jamais prêter leur carte bancaire ou leur code pin, même pas à quelqu'un qu'ils connaissent bien. Mais il est très difficile de garder ses enfants à l’œil, surtout quand on sait que la plupart d'entre eux sont actifs sur différents médias sociaux, où ce type de fraude est aussi monnaie courante. »