Le monde bancaire : un univers complexe à aborder avec nuance plutôt que sous un angle populiste

26 mai 2023

Une opinion de Karel Baert, CEO de Febelfin

Les discussions sur les taux d'intérêt minima sur les comptes d'épargne dominent le débat public et politique depuis plusieurs jours déjà. Et c'est compréhensible, après tout, tout le monde aimerait bénéficier d’un peu plus d'intérêts sur son épargne. Surtout dans une période de forte inflation où la vie est devenue plus chère.

 

Même si l'idée d'imposer légalement un taux d'intérêt minimum est parfaitement compréhensible sur le plan émotionnel, il demeure important de ne pas se laisser emporter par le populisme. L’activité bancaire est particulièrement complexe, il ne s’agit pas juste de suivre une à une les évolutions du taux de dépôt de la BCE. Et cela, malheureusement, nous avons beaucoup de mal à l'expliquer. Pourtant, il est essentiel de pouvoir assurer la santé et la stabilité de nos banques belges, ce, dans l'intérêt de la société dans son ensemble. De nombreux défis majeurs nous attendent, comme la transition vers une société plus durable, qui seront couteux et dans lesquels le secteur bancaire aura un rôle clé à jouer.

Mais revenons un instant sur la question de la complexité dans le cadre d’une activité bancaire saine. Les banques ont une importante fonction de transformation. D'une part, elles détiennent des dépôts à court terme; d'autre part, elles fournissent des crédits à long terme. Le taux de dépôt de la BCE a beaucoup augmenté en peu de temps, celle-ci s’étant fixé pour objectif de freiner l'inflation. Depuis 9 mois, nous connaissons donc une nouvelle réalité : un taux de dépôt de la BCE positif. Une situation inédite, car pendant 10 ans, ce taux d'intérêt a été négatif. Cela signifie que pendant des années, les ménages et les entreprises ont pu obtenir ou refinancer leurs crédits à taux fixe à des taux particulièrement bas. Ainsi, l'ensemble du portefeuille de crédits des banques est quasiment constitué de prêts à taux d'intérêt très bas.

Durant cette même période de taux d'intérêt négatifs, la Belgique a également connu un taux d'intérêt minimum légal de 0,11 % sur les comptes d'épargne réglementés. Ainsi, bien que les banques aient dû payer pendant des années un taux d'intérêt négatif de 0,5 % à la Banque centrale pour y placer l’épargne déposée chez elles, les consommateur-rice-s- belges n'ont jamais connu de taux d'intérêt nul ou négatif sur leur compte d'épargne réglementé et ont toujours pu bénéficier d'un taux d'intérêt certes faible, mais toujours positif. Par ailleurs, il ne faudrait pas non plus perdre de vue les prélèvements bancaires imposés par les pouvoirs publics, qui ont encore été augmentés récemment. Ceux-ci profitent avant tout aux autorités, non aux épargnant-e-s. 

Autant d'éléments qu'il convient de garder à l’esprit dans ce débat souvent émotionnel mais très complexe. Des éléments qui font que les banques devraient, chacune pour soi, pouvoir réaliser leur propre analyse de risque en fonction de leur modèle spécifique et évaluer si elles ont la possibilité d'adapter leurs taux d'épargne sans mettre en péril ni leur stabilité, ni l'argent de leurs épargnant-e-s ou les investissements futurs nécessaires. C'est également la raison pour laquelle il peut y avoir un certain décalage entre la modification du taux de dépôt de la BCE et le taux d'épargne offert par les banques : il n’y a pas d’évolution parallèle, ni de scénario manichéen.

Dans un marché comme celui de la Belgique, la concurrence est intense; elle jouera donc aussi dans le cadre des taux d'épargne. Mais il faut comprendre qu'une banque doit agir avec prudence et évaluer correctement les risques pour être en mesure, sur cette base, de prendre les décisions adéquates dans l'intérêt général. 

Karel Baert, CEO de Febelfin