L'indépendance financière, source de liberté

23 avril 2023 - 9 min de lecture

Entretien avec Laura Lumingu, Corporate Culture & DEI Officer 
chez KBC, sur l’éducation financière des femmes 

 

L'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) a réalisé une enquête internationale sur les connaissances financières des adultes. Les résultats ont révélé d'importantes différences entre les hommes et les femmes : il apparaît ainsi que, statistiquement, les hommes possèdent davantage de connaissances financières que les femmes. En outre, ils obtiennent également de meilleurs résultats en termes de bien-être financier. Febelfin s'est entretenue avec Laura Lumingu, qui travaille comme Corporate Culture & DEI Officer chez KBC, au sujet de l’instruction et de l'éducation financières chez les femmes.

 

Laura, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

 

Je m'appelle Laura Lumingu et j'ai 34 ans. Je vis à Herent avec mon compagnon et ma fille de 4 ans, et je travaille chez KBC depuis 12 ans maintenant.

Comment êtes-vous arrivée dans le secteur bancaire ? Sciemment ou plutôt par hasard ?

 

Après mes études, c'est un peu par hasard que j'ai atterri chez KBC. J'ai étudié les sciences de la communication. KBC organisait alors une ICT Academy. Pendant trois mois, j'ai suivi une formation pour me reconvertir comme programmeuse et commencer à travailler en tant que software engineer.

Un succès, puisque, comme je viens de le dire, cela fait maintenant 12 ans que je travaille chez KBC. Outre mon activité dans l'IT et la banque en ligne, j'ai exercé également différentes fonctions dans le domaine de la consultance stratégique au sein de KBC. Depuis peu, j'ai rejoint l'équipe Corporate Culture Team, qui se concentre sur des projets relatifs à la culture d'entreprise, la diversité et l'inclusion. Nous avons un réseau de diversité au sein de KBC (« Diversity rocks ») que je coordonne.

Une étude de l'OCDE datant de 2020 montre que les hommes ont davantage de connaissances financières et sont donc plus instruits en la matière que les femmes. Comment expliquer cette différence ?

 

C'est simple : ce n'est que depuis les années 1950 que les femmes peuvent ouvrir leur propre compte bancaire sans l'autorisation de leur mari ou d'un membre masculin de leur famille. Ce n'est pas si lointain. Aujourd'hui, les femmes doivent encore supporter et rattraper ce retard. Nous manquons également de modèles féminins. Tout le monde connait le célèbre investisseur Warren Buffett, mais qui connait des équivalents féminins ? Comme Geraldine Weiss, l’une des premières femmes ayant prouvé que les femmes savent elles aussi investir. Disons-le, les modèles féminins restent encore trop à l’arrière-plan dans ce domaine.

Une différence dans la gestion des finances pourrait-elle expliquer cette différence entre les hommes et les femmes ? Ou d'autres facteurs peuvent-ils entrer en ligne de compte, comme certains stéréotypes encore très présents dans notre société ?

 

En moyenne, les femmes continuent de gagner moins que les hommes. Elles disposent donc simplement de moins d’argent pour se lancer, en particulier dans les investissements et placements. Par ailleurs, avant d’investir, il faut d’abord s’appliquer à comprendre comment cela fonctionne, et c'est souvent là que le bât blesse. Les femmes – plus que les hommes – consacrent pas mal de temps à leur famille et aux tâches en rapport. Si elles veulent, au-delà, faire carrière et réserver de l’espace à leur vie sociale, il leur reste peu de temps pour les questions d’argent. Les investissements ne sont donc généralement pas une priorité.

D'autant que s’applique ici aussi la maxime « If you can’t see it you can’t be it ». Si vous ne voyez pas beaucoup de femmes s'occuper de questions d'argent dans votre entourage, vous n'en parlerez pas non plus avec elles. Ainsi, un sujet comme la crypto-monnaie sera plus susceptible d'être discuté dans des groupes d'amis masculins que dans des groupes féminins.  Or, en négligeant ces sujets entre femmes, vous contribuez à perpétuer cet écart. Il se dit que certains sujets relèvent davantage de la sphère masculine et d’autres de la sphère féminine. Pourtant, si, dans notre société, cette assignation continue d’être déterminante quant à savoir qui s'intéressera ou non à la finance, on sait que le budget des ménages est très souvent géré par les femmes. Or, il s’avère que lorsqu'il s'agit d'investir et de réaliser des placements, leur retard reste plus important.

Existe-t-il actuellement en Belgique des initiatives visant spécifiquement à améliorer l'éducation financière des femmes ? Si oui, quelle initiative a eu un impact et pourquoi ?

 

De telles initiatives devraient exister, mais je ne suis pas en mesure d'en citer directement une moi-même. Ce qui, à mon avis, a certainement eu un impact ces dernières années, ce sont les plateformes d'investissement numériques. En plus de la plateforme elle-même, il est souvent possible d’y trouver des cours de formation en ligne, ce qui rend l'éducation financière, notamment en matière d'investissement et de placement, beaucoup plus accessible aux consommateur-rice-s.

L'effet corona ne doit pas ici être sous-estimé : tout à coup, les gens ont eu plus de temps pour commencer à investir. Les jeunes, mais aussi les femmes, ont découvert la bourse. Pour moi, cela a certainement eu un impact positif. 

Les écoles devraient-elles accorder une place plus importante à l'éducation financière dans leur programme ? L'éducation financière devrait-elle être placée au même niveau que, par exemple, l'histoire ou la géographie ?

 

Absolument, et ce pour tout le monde. Pour les élèves dans toutes les orientations d'études. Car chacun-e d'entre nous doit être capable de gérer un budget tôt ou tard. C’est pourquoi je pense qu'il faut à tout le moins apprendre à organiser financièrement un projet à l'école. Il existe aujourd'hui de nombreuses applications ludiques qui permettent d’apprendre à  gérer soi-même ses finances. L'éducation a sans aucun doute un rôle significatif à jouer dans l'enseignement des compétences financières.

Devrions-nous nous concentrer davantage sur les initiatives qui ciblent spécifiquement l'éducation financière des femmes ? Si oui, quelle est la meilleure façon de procéder ?

 

Je pense que ce qui est extrêmement important pour les femmes, c'est l'autosuffisance financière. Il est essentiel de s'assurer que l'on dispose et conserve son indépendance financière lorsque l'on emménage à deux ou que l'on se marie. De cette façon, vous vous protégez pour le cas où un jour les choses tourneraient mal. Si vous choisissez de vous consacrer davantage à votre famille et que vous commencez à travailler à temps partiel, cela aura des conséquences sur vos revenus et, plus tard, sur votre pension. Bien sûr, on ne veut pas penser au début d’une relation que les choses pourraient mal tourner. Mais en admettant que je me retrouve soudain seule, par exemple, je pense qu'il serait important que je puisse compter sur mon indépendance financière.

L'indépendance financière est source de liberté. C’est pourquoi il est important que les femmes  investissent dans un revenu complémentaire, par le biais de placements ou d'autres alternatives, car c'est ainsi qu’elles peuvent continuer à construire leur indépendance financière. Cela devrait être davantage souligné dans la société.

Il me semble que l'information et l'éducation financières peuvent être assurées de manière très accessible de nos jours. Ce n'est plus un sujet qui fait peur. Manipuler l’argent et pouvoir le gérer peut être très amusant. Surtout quand, au fil des ans, vous voyez votre investissement s’étoffer (rires).

Si vous pouviez revenir 20 ans en arrière, voudriez-vous voir changer quelque chose à la façon dont on vous a appris à gérer l'argent lorsque vous étiez enfant ? Quels conseils donneriez-vous aux parents à ce sujet ?

 

Dans ma famille, il s'agissait surtout de joindre les deux bouts chaque mois. Il n’était pas question de placements, ni d'investissements, ce sont des choses auxquelles je n’ai commencé à m’intéresser que bien plus tard.

J'ai surtout appris à être économe, à joindre les deux bouts, à emprunter pour mes études, à financer mes stages, à rembourser mes emprunts, etc. La situation financière que l'on vit à la maison et par l'intermédiaire de ses parents est différente pour chacun-e. Pour ma part, je me suis découvert un don pour dénicher de véritables petits trésors en seconde main et je suis devenue une experte de toutes les bourses scolaires existantes qui apportent un soutien financier supplémentaire. En ce sens, ma situation familiale m'a certainement appris des choses sur l'argent. Bien sûr, si j'avais grandi dans une famille où l'argent n'était pas un problème, mon expérience aurait été complètement différente. J'aurais peut-être appris plus tôt à investir et à faire des placements.

Plus tard, lorsqu’elle sera en âge d’apprendre, je souhaite impliquer ma fille le plus possible dans les questions d'argent. Nous communiquerons de manière ouverte et transparente à ce sujet. Parler d'argent ne sera pas un tabou. Il existe également de nombreuses applications amusantes qui permettent aux enfants d'apprendre beaucoup de choses sur l'argent d'une manière ludique. Ma fille n'a que 4 ans, nous avons encore un peu de temps devant nous avant de commencer à les lui montrer. Mais le moment venu, j’en appellerai à un joker numérique pour m'aider dans cette tâche (rires).

Un grand merci pour cette interview !